Il existe pourtant des pommes et des oranges
Cézanne tenant d’une seule main
toute l’amplitude féconde de la terre
la belle vigueur des fruits
Je ne connais pas tous les fruits par cœur
ni la chaleur bienfaisante des fruits sur un drap blanc
Mais des hôpitaux n’en finissent plus
des usines n’en finissent plus
des files d’attente dans le gel n’en finissent plus
des plages tournées en marécages n’en finissent plus
J’en ai connu qui souffraient à perdre haleine
n’en finissent plus de mourir
en écoutant la voix d’un violon ou celle d’un corbeau
ou celle des érables en avril
N’en finissent plus d’atteindre des rivières en eux
qui défilent charriant des banquises de lumière
des lambeaux de saisons ils ont tant de rêves
Mais les barrières les antichambres n’en finissent plus
Les tortures les cancers n’en finissent plus
les hommes qui luttent dans les mines
aux souches de leur peuple
que l’on fusille à bout portant en sautillant de fureur
n’en finissent plus
de rêver couleur d’orange
Des femmes n’en finissent plus de coudre des hommes
et des hommes de se verser à boire
Pourtant malgré les rides multipliées du monde
malgré les exils multipliés
les blessures répétées
dans l’aveuglement des pierres
je piège encore le son des vagues
la paix des oranges
Doucement Cézanne se réclame de la souffrance du sol
de sa construction
et tout l’été dynamique s’en vient m’éveiller
s’en vient doucement éperdument me léguer ses fruits
Une mélancolie douce-amère dans laquelle les images visitent les tableaux de Cézanne, la misère, et où la résilience apporte l’espoir et le goût des fruits.
1. Après une première lecture, séparez le poème en trois sections. Trouvez le thème abordé dans chacune de celles-ci.
2. Isolez les vers qui abordent la souffrance. Que peut-on trouver comme image qui ferait un contrepoids à cette souffrance?
3. Après avoir effectué une recherche simple au sujet des natures mortes de Cézanne, expliquez la récurrence de mot « orange » dans le poème.
4. En lisant le poème à voix haute, trouvez une façon d’interpréter ce que la répétition des mots « n’en finissent plus » amène au texte. Quelle émotion pouvez-vous déceler? Faites le même exercice avec la répétition du mot « orange ».
Activité d’écriture
Trouvez un fait divers qui vous touche particulièrement dans le journal. Essayez de décrire la souffrance qui s’en émane en utilisant la répétition comme stratégie d’écriture. Quel vers répétez-vous? Pourquoi?
Liens utiles
https://www.onf.ca/film/marie_uguay/
Uguay, Marie, « Il existe pourtant… », L’outre-vie, dans Poèmes,, Montréal, Éditions du Boréal, 2005 [1979].